Au-devant du Brexit, Paris tente un relooking économique

https://www.nytimes.com/2017/12/11/world/europe/brexit-paris-france.html

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PARIS — Le téléphone sonne beaucoup à l’agence Paris Région, un guichet unique destiné aux entreprises qui envisagent de transférer leur personnel vers la Ville Lumière. Le plus souvent, les appels concernent les visas ou des précisions sur la loi du travail. Mais récemment, un homme d’affaires du Japon avait une question casse-tête : où, demandait-il, se trouvent les clubs de danse ?

« C’était un genre de club dont personne chez nous n’avait entendu parler », se souvient Robin Rivaton, le directeur général de l’organisation. « Une espèce de club pour les cadres supérieurs et leurs femmes. Un de nos gars s’est mis à passer des coups de fil et a fini par en trouver un dans l’ouest de Paris ».

Il n’y a pas si longtemps, ce genre de service à la carte était inimaginable. La France avait longtemps la réputation d’être ouvertement hostile aux multinationales et méfiante à l’égard des fortunes personnelles. Les impôts étaient élevés, la législation déroutante et « c’est pas possible » la réponse standard à toute question, si tant est qu’on arrivait à joindre le bon interlocuteur à qui la poser.

Aujourd’hui, le pays fait d’immenses efforts pour changer cette image. La loi du travail a été réformée pour simplifier les procédures d’embauche et de licenciement. Une autre loi a considérablement réduit l’impôt sur la fortune qui poussait, dit-on, des millionnaires à l’exil. On travaille à créer des cours de justice anglophones et on construit une nouvelle école internationale pour les enfants de cadres étrangers.

Un sentiment d’urgence pointe sous ces mesures. Des centaines d’entreprises financières devront sans doute muter des employés depuis Londres avant que la Grande Bretagne ne quitte l’Union Européenne, à la fin mars 2019, dans le cadre de ce qu’on appelle le Brexit. Ces entreprises risqueraient sinon de perdre leur droit d’opérer à travers l’Europe, autrement dit un accès privilégié aux 27 pays encore membres de l’Union Européenne.

Une poignée de villes européennes se sont ainsi lancées dans une compétition internationale dont les enjeux sont élevés. L’heure de la décision va bientôt sonner. La percée dans les négociations sur le Brexit annoncée vendredi n’a fait que résoudre des questions préliminaires, permettant d’ouvrir un deuxième cycle de négociations. D’après le calendrier actuel, l’accord final devrait être signé bien avant la date butoir de mars 2019.

Paris rivalise avec Dublin, Francfort et Luxembourg, dans un concours qui ne mesure pas d’abord la beauté. Pour séduire un conseil d’administration, il faut avant tout pouvoir offrir un environnement légal, réglementaire et culturel favorable aux entreprises — et dans le passé, Paris se refusait à ce genre d’accueil chaleureux.

« Aucun des héros dont on vous parle quand vous grandissez en France n’est un entrepreneur », explique Brigitte Granville, professeur d’économie à l’université Queen Mary de Londres, qui fut élevée en France. « Quand quelqu’un s’enrichit en France, les gens se demandent tout de suite ‘Qu’est-ce qu’il a fait pour gagner autant ? C’est sûrement un méchant’. »

On s’accorde à faire remonter cette attitude à la Révolution française qui, explique Mme Granville, a élevé l’égalité au rang de quasi-religion. Quand le président François Hollande déclara en 2012 que son ‘véritable adversaire’ était ‘le monde de la finance’, il ne faisait que résumer un sentiment somme toute assez répandu.

Mais aujourd’hui, une nouvelle cohorte de dirigeants, en particulier le président libre-échangiste Emmanuel Macron, entreprend avec vigueur de se défaire de cette réputation anticapitaliste. En pleine campagne électorale, il s’était rendu à Londres pour encourager les expatriés français, au nombre d’environ 400 000, à rentrer en France et à « innover ». Et depuis son élection, le gouvernement s’adonne à une campagne très agressive dont l’objectif est de souffler des emplois à Londres.

Cette campagne fut lancée le jour de l’annonce des résultats du vote sur le Brexit, le 24 juin de l’année dernière. Dans l’après-midi, l’agence Paris Région bombardait des dizaines de sites web de bandeaux publicitaires (‘Choose Paris Region’ — Choisissez Paris Region — pas très accrocheur comme slogan). Quelques semaines plus tard, 4 000 envois sont partis par la poste vers des entreprises du monde entier.

Et dès avant octobre, des représentants d’un quartier d’affaires de Paris avaient placardé les aéroports de Londres d’affiches facétieuses où on pouvait lire « Tired of the Fog, Try the Frogs ! » (« Marre du Brouillard, essayez les Grenouilles »; Frogs étant un terme familier dont les Anglais affublent les Français). Suivirent moult séances de networking et de briefings. En février dernier, une délégation de dirigeants politiques et d’entreprises a rencontré plus de 80 cadres dirigeants au 37ème étage du Shard, un gratte-ciel emblématique du centre de Londres.

Le gouvernement français a également nommé l’ancien dirigeant de la Banque de France Christian Noyer comme référent français du Brexit. C’est un diplomate-né à qui on ne peut pas faire dire du mal de ses concurrents. Tout au plus qualifie-t-il Francfort de « petite et provinciale », tout en s’empressant d’ajouter que « il y en a qui aiment ça ».

S’il fait rarement la promotion de ce que Paris a de plus célèbre, ses rues magnifiques et ses excellents restaurants, il pense qu’ils joueront leur part, si petite soit-elle, dans certains choix de relocalisation.

Une entreprise peut choisir d’envoyer ses employés où bon lui semble, expliqua M. Noyer au cours d’une brève interview dans le lobby d’un hôtel londonien. « Mais si une concurrente choisit une ville plus attractive, ses meilleurs employés pourrait être tentés de partir au bout de quelques mois pour un poste dans une ville plus agréable ».

Des élus locaux estiment à environ 10 000 le nombre d’emplois qui seront transférés de Londres à Paris suite au Brexit. Il n’est pas certain que ce chiffre soit atteint, mais certains signes indiquent déjà que la carte de Paris est dans le jeu.

HSBC annonça cet été qu’elle pourrait transférer 1 000 postes depuis Londres. En septembre, Bank of America négociait la location de bureaux dans le quartier de l’Arc de Triomphe, dans la perspective d’un premier transfert de 300 employés.

En France, les réformes législatives et cette campagne liée au Brexit attirent leur part de critiques, dont la plupart y voient une preuve supplémentaire que M. Macron est « le président des riches ».

« L’idée que ce sont ses impôts élevés qui détournent les entreprises de la France est un faux argument qu’on nous sert pour faire passer des politiques autrement plus difficiles à justifier aux yeux de la population », estime Alexandre Derigny, secrétaire adjoint de la fédération finances à la Confédération Génerale du Travail.

Le relooking économique de la France suscite aussi quelques commentaires moqueurs à l’étranger. Il sentirait la tentative désespérée, si l’on en croit Nicolas Mackel, PDG de Luxembourg for Finance, un partenariat public-privé. M. Mackel est fier de dire que le grand-duché n’a pas fait appel aux tactiques déployées par Paris.

« Vous m’accuserez de taper sur les Français », dit-il récemment en prenant le thé, « mais cette année ils ont annoncé qu’ils mettraient en place des régulateurs anglophones. Nous, on n’a pas besoin de faire ça, nos régulateurs sont déjà anglophones, et depuis toujours ».

La mise en place de fonctionnaires anglophones ne serait qu’un début prometteur pour la France. Le pays possède un nombre si déconcertant de couches administratives qu’on parle, sans affection, de « mille-feuille », à l’image de cette pâtisserie particulièrement dense.

Certaines des tentatives pour résoudre ce problème sont entreprises à huis-clos. L’un de ces huis-clos se situe au quatrième étage du Ministère de l'Économie et des Finances à Bercy, un immense immeuble de style brutaliste abritant des milliers de fonctionnaires et plusieurs hectares de bureaux standardisés.

Une pièce a récemment été agencée aux airs de salle de brainstorming pour start-ups. Au Bercy Lab, il y a des bureaux lisses et des tableaux blancs, ainsi que des détails assez loufoques. Un panneau sur la porte d’entrée affiche : « A vos marques, Prêts, Innovez ! ».

Depuis l’ouverture du Lab en octobre dernier, hommes d’affaires et parlementaires s’y réunissent pour rédiger une loi ambitieuse pour améliorer l’environnement commercial qui sera soumise au vote l’année prochaine. Parmi les participants on trouve Eric Kayser, fondateur de la chaîne de boulangerie Maison Kayser. Ces rencontres en face-à face peuvent sembler banales, mais elles sont tout à fait innovatrices.

« C’est vraiment utile », estime Alice Zagury, présidente de Family, une entreprise qui investit dans des start-ups européennes, et participante au Bercy Lab. « Et c’est ce qu’on a besoin de faire en France – participer, se sentir responsable et ne pas croire que le gouvernement arrangera tout ».

Mais le ministère offre aussi l’occasion de rappeler l’un des impérissables attraits de Paris : une cuisine exceptionnelle. Du lundi au vendredi, 10 chefs s’affairent dans une cuisine de 500 mètres carrés sous la direction de Bruno Gricourt, ancien de restaurants étoilés. Les hommes et femmes d’affaires invités à participer aux réunions Brexit et qui restent déjeuner se régalent des menus de M. Gricourt, qui varient d’un jour à l’autre.

Les hors d’œuvre qu’il vient de concocter sont des « coquilles Saint-Jacques grillées avec une émulsion de potiron et des noisettes fraîches », explique-t-il. « Une préparation très simple, dans le respect des ingrédients ».

Il faudra sans doute plusieurs années à la France pour vraiment changer son image, si elle y arrive. Mais au-delà des engagements déjà pris par plusieurs banques, quelques signes semblent indiquer que la stratégie est payante.

Sur Twitter le mois dernier, le PDG de Goldman Sachs, Lloyd C. Blankfein, félicitait le gouvernement français pour ses mesures économiques, les qualifiant de « premiers pas ».

« Frappé par l’énergie positive ici à Paris », écrivait-il. Et, pour souligner ce que son public savait déjà, il ajoutait, « Et puis on y mange bien aussi ! ».